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Chroniques
Kaija Saariaho
L'amour de loin
Il y a une vingtaine d'années, Kaija Saariaho – un peu comme Takemitsu – disait son désintérêt pour l'opéra, et affirmait qu'elle n'en écrirait sans doute jamais. Mais un Saint-François d'Assise, vu en 1995, va l'encourager à franchir le pas. Finalement, faisant suite aux trois grandes œuvres vocales que sont Château de l'âme (1995), Lonh (1996) et Oltra mar (1998-1998), la partition de L'Amour de loin est écrite en dix-huit mois, puis portée sur scène au Festival de Salzburg, en 2000.
Pendant longtemps, la compositrice s'est demandé ce que signifiait pour elle le genre lyrique : « comment créer une relation sans couture entre texte et musique, comme concevoir une structure qui naisse du sujet et du matériau, et par quels moyens définir le plus efficacement l'identité musicale des principaux personnages ? » En tant que créatrice, la Finlandaise s'est sentie proche du poète Jaufré Rudel, ce prince et troubadour qui chante la beauté, la noblesse d'une comtesse de Tripoli, et en tant que femme exilée elle-même, c'est en Clémence qu'elle se reconnaît – laquelle chante : « le pays où je suis née respire encore en moi, mais pour lui je suis morte ». Afin d'élaborer cette œuvre qui parle d'amour et de mort sans recours dramatique, où la tension est liée à la vie intérieure des protagonistes, Saariaho a reçu l'aide précieuse du romancier Amin Maalouf pour le livret, et celle de Peter Sellars, signant une mise en scène épurée, spirituelle, qui convoque l'eau et la lumière.
Des cinq personnages prévus au départ, trois seulement ont vu le jour et occupent ces cinq actes. Pour l'avoir déjà subie dans Theodora de Händel [lire notre critique du DVD], on redoutait la présence de Dawn Upshaw… et on avait raison ! Si l'on peut apprécier de beaux aigus et excuser une diction française approximative, comment s'accommoder d'un placement vocal qui voyage, de notes fausses, et d'un registre bas bien faible ? Ses grimaces ne peuvent donner le change : elle est inhabitée, aussi vide que l'esprit de Clémence entre les murs d'une église. Son adresse finale à Dieu la conduit aux limites du ridicule ; l'on mesure d'ailleurs combien l'œuvre aurait dut se clore un quart d'heure plus tôt, sur l'agonie de Jaufré, au sommet d'une émotion concentrée comme rarement sur une scène lyrique.
C'est peu dire que Gerald Finley, incarnant le poète, est à cent lieues de sa partenaire. Le chanteur, très expressif, bon comédien, jouit d'une diction exemplaire, d'une voix souple, colorée, au timbre riche et aux attaques très douces. La vaillance n'est pas en reste, dans les moments de rage, de peur ou de révolte. Autre voix équilibrée, celle de Monica Groop révèle une belle égalité de pâte. Dans son voyage entre l'Orient et l'Occident, le Pèlerin qu'elle incarne, pont entre amants et cultures, sait être émouvant bien que métaphorique. À la tête du Finnish National Opera, Esa-Pekka Salonen rend justice à la fine écriture orchestrale de Saariaho, dont surnage la flûte, comme un symbole de permanence. Nous les retrouverons tous deux le 30 mars 2006 pour la création d'Adriana Mater, à l'Opéra Bastille.
LB